C’est finalement à l’été
2010 que j’arrivai enfin à percer le secret des
origines de Hans Jost grâce à la mise en
ligne des registres paroissiaux par les archives du
Bas-Rhin. Dépouillant un peu par hasard les
registres de Haguenau je tombais grâce à
l’index presque immédiatement sur plusieurs actes
de naissance qui me permettaient de renouer le fil de
cette lignée familiale et de remonter plus avant
l’histoire des ses membres. Hans Jost à Haguenau C’est donc à
Haguenau, dans les registres de la paroisse
Saint-Nicolas que l’on trouve trois actes de naissance
d’enfants de Hans Jost et Maria Bür datant de 1716,
1717 et 1718. Ces actes sont assez important pour notre
histoire pour en faire la retranscription
complète : « Hodie 21
Martii 1716 A Me Infra Scripto baptismata fuit Infans
Maria Barbara, eujus Parentes Joannes Jost Pastor
ovium apud D[ominum] Nobilem D’ Niedheimer In villa D.
Nobilis D. de Warstat habitans et Maria Baürin
sunt Legitimi conjugues. Patrinius fuit Franciscus
Josephus Meister Martini Meister p.M. Pellionis et
Civis hujatis legitimg relictus filius. Matrina fuit
Maria Humlerin Petri Humler fabri ferrari olim in
batzendorf legitima filia. » Le parrain signe d’une
croix, la marraine d’un signe qui ressemble à ses
initiales. « En ce jour 21
mars 1716 je soussigné ai baptisé l’enfant
Maria Barbara, dont les parents sont Hans Jost gardien
de bétail auprès du Noble Maitre de
Niedheimer et demeurant dans la ferme du noble Maitre de
Warstatt et Maria Baür sa femme. Le parrain fut
François Joseph Meister le fils légitime
de Martin Meister pelletier et citoyen en ce lieu. La
marraine fut Maria Humler fille légitime de
Pierre Humler forgeron à Batzendorf. » « Hodie 10
Aprilis 1717 A Me Infira scripto baptismata fuit Maria
Magdalena, cujus Parentes sunt Joannes Jost Pastor
ovium D. Niedheimer Stettmeisters alhia et Maria
Baurin legitimi conjuges. Patrinus fuit Pronobilis D.
Armandus Carolus de Warstatt Lieutenant dans le
Regiment de Toulouse. Matrina Pronobilis Domina
Johanna Magdalena Niedheimerin Pronobilis D.
Niedheimer legitima uxor. » Signatures : Armandus
Carolus de Vorstat. Johanna Magdalena Niedheimer. Anselmus
Parochus. « En ce jour 10
avril 1717 je soussigné ai baptisé Maria
Madeleine dont les parents sont Hans Jost gardien de
bétail du Maitre Niedheimer Stettmeister en ce
lieu et Maria Baur sa femme légitime. Le parrain
fut le noble Maitre Armand Charles d Warstatt Lieutenant
dans le regiment de Toulouse. La marraine fut la noble
Maitresse Johanna Madeleine Niedheimer, femme
légitime du noble sire Neidheimer. » « Hodie 25
sept. 1718 a me infra Scripto baptismatus est infans
Joannes Michael cuius Parentes sunt Joannes Jost
pastor ovium in villa Dni Kettlers Maria Baürin
legitimi conjuges. Patrini fuere Henericus Has civis
in Kaltenhausen et pudica virgo Maria Esther Meisterin
honesti Martini Meisters civis pellionis huiatis
legitima relicta filia » Signatures : Heinrich
Has. Marraine signe d’une croix. Franciscus Xaverius
Schwartz vicarius. « En ce jour 25
septembre 1718 je soussigné ai baptisé
l’enfant Jean-Michel dont les parents sont Hans Jost
gardien de bétail à la ferme de Maitre
Kettler et Maria Baur sa femme légitime. Les
parrains et marraine furent Henri Has demeurant à
Kaltenhausen et la jeune fille Maria Esther Meister la
fille de l’honnête citoyen de ce lieu le pelletier
Martin Meister. » Ces actes font apparaitre
très clairement le contexte dans lequel Hans Jost
arriva à Haguenau vers 1715-1716 : il venait
travailler pour les grands bourgeois de Haguenau
qu’étaient les famille Niedheimer, de Warstatt et
Kettler. Nous reviendrons sur ces lient mais
l’immédiat il revient de traiter de l’ascendance
de Hans Jost. Origine de Hans Jost Jusqu’à
présent il n’a pas été possible de
retrouver l’acte de mariage ou de naissance de Hans
Jost. Pour déterminer s’il est bien le fils de
Hans Jost le vieux il revient de rassembler les indices
dont nous disposons : 1-
Le même prénom et le même
métier. Il semble en effet assez logique de
rapprocher Hans Jost (le jeune) berger, de Hans Jost (le
vieux) berger mais ce n’est pas suffisant pour
établir la parenté. 2-
Les dates concordent parfaitement. Le Mariage
avait lieu en général vers 25 ans avec
naissance des enfants autour de 30 ans. Cela donne une
date approximative de naissance pour Hans le jeune vers
1690. Or, Hans le vieux se marie en 1686. 3-
Concordance géographique : Hans le
vieux est signalé entre Zorn et Haguenau et
notamment à Batzendorf et Kaltenhouse. Or, Hans
le jeune choisit des parrains/marraine dans ces deux
lieux ce qui prouve qu’il y avait des attaches.
D’ailleurs M. Guy Loll m’a fait l’amitié de me
signaler que le parrain de Jean-Michel, Henri Has de
Kaltenhouse, était aussi le parrain de
Joseph, le fils de Marie-Catherine Jost, elle-même
fille attestée de Hans le vieux.[1] 4-
L’indice le plus fort est de toute
évidence la relation forte de Hans le jeune avec
la famille Meister, tout comme Hans le vieux. 5-
A la mort de Hans le vieux, sa veuve et sa
fille Eva déménageront (vers 1715)
à Schweighouse. Sa fille Catherine y est aussi
installée avec son mari en 1717. On peut se
demander pourquoi. Hans le jeune, on l’a vu, travaillait
auprès des familles Niedheimer et de Vorstadt qui
étaient alliées. Or, il se trouve que la
famille Niedheimer possédait des terres et la
moitié d’un moulin à Schweighouse et juste
à côté, la seigneurie d'Ohlungen
avec son château fut vendue en 1707 aux de
Vorstadt. Peut-être que Hans le jeune travailla un
temps dans ces parages ; à la mort de son
père, il aura alors fait venir sa mère et
sa soeur. D’ailleurs en 1729 un certain Hans Jost meurt
à Uhlwiller dont dépend Ohlungen.
Serait-ce le fils de Hans le jeune ?[2] L’ensemble des indices
assemblés bout à bout suggère
clairement que Hans le jeune est bien le fils de Hans le
vieux. Né vers 1690, il aura suivi ses parents
durant leurs pérégrinations entre
Hochfelden et Haguenau jusqu’à son mariage,
après quoi il dut s’installer à son compte
reprenant le métier familial de berger. Mariage à Batzendorf ? Hans le jeune et Maria
Bür se sont probablement mariés juste avant
d’arriver à Haguenau c'est-à-dire vers
1715 ou peu avant. On peut se demander
d’où venait son épouse. Il se trouve que
le nom Bür (version alsacienne de l’allemand Bauer)
est assez peu fréquent dans les archives
(contrairement à Bauer). Une recherche sommaire
dans les annuaires indique qu’aujourd’hui le noyau
principal des Bür est localisé autour de
Batzendorf. Cette hypothèse semble
confirmée par la présence de quelques
Bür du XVIIIe siècle à Hochstett,
Wahlenheim et Batzendorf. Or la famille Jost est
justement signalée à Batzendorf en 1711,
soit quelques années avant la date
présumée du mariage. On peut donc penser
que Maria était originaire des environs de
Batzendorf et que c’est là qu’elle épousa
Hans le jeune. Comme les registres paroissiaux de cette
zone ont disparu on ne peut vérifier cette
hypothèse. Toutefois en 1716, lors de la
naissance de Maria Barbara qui fut peut-être leur
premier enfant, la marraine choisie, Maria Humler
était la fille d’un forgeron de Batzendorf.
L’hypothèse est donc crédible. Il est
aussi possible que Maria Bür descende de la famille
Bauer de Hochfelden, liée au XVIIe siècle
à Michel Jost le jeune. Cette famille
était originaire de Mommenheim. Or aussi bien
à Mommenheim qu’à Hochfelden, on constate
que le patronyme de cette famille se transforme
quelquefois en Bür ou Baür au début du
XVIIIe siècle. Contexte politique local à la mort de
Louis XIV Avec la fin des guerres incessantes en Alsace
marquée par la mort de Louis XIV, le pouvoir
français va enfin pouvoir s’ancrer
profondément dans cette province occupée
pourtant dès 1634. Le pouvoir dans la province
est dorénavant personnalisé par
l’intendant. C’est à travers lui que
« le roi est présent dans la
province. » De la même manière
à Haguenau, capitale de l’ancienne
décapole, le pouvoir est personnalisé par
le préteur royal qui représente
« le roi présent dans la
ville. » Ce dernier forme avec les anciens
Stettmeisters et conseillers le magistrat,
c'est-à-dire un gouvernement dans la ville. Si en
apparences Stettmeisters et conseillers gardent donc un
semblant de pouvoir, c’est bien le préteur royal
qui a le dernier mot dans toutes les affaires
communales, civiles et criminelle. Il met de fait son
veto à toute décision qui lui semble
contraire aux intérêts du roi. Ainsi, après la mort de Louis XIV, la
politique française en Alsace est marquée
par le désir des autorités de reconstruire
entièrement la province et d’implanter
durablement la présence française
consacrée et confirmée par le
traité de Ryswick de 1697. Dès 1715, le
pouvoir va donc s’appliquer à mettre en œuvre en
Alsace une série de réformes
laissée en suspens pendant la guerre. L’une des
plus emblématiques concerne les nouveaux
règlements forestiers de 1696 et 1698 supprimant
les droits séculaires des bourgeois sur la
forêt. Or cette
initiative rencontra immédiatement
l’hostilité de la population de Haguenau.
Poussés par un aubergiste virulent appelé
Bettmesser, des bourgeois mécontents se
révoltent dès l’automne 1715 et
revendiquent avec virulence la jouissance du bois de
construction et du bois mort. Le magistrat
rétorque en faisant emprisonner quelques meneurs
mais le 21 novembre il se trouve confronté
à une assignation devant le conseil souverain
d’Alsace à Colmar par une centaine de bourgeois
de Haguenau. Le magistrat est accusé
d’arrestation de bourgeois et de menace de faire venir
deux régiments de cavalerie pour les loger chez
l’habitant. Le conseil souverain prend les plaignants
sous sa protection et en informe le conseil de Haguenau.
Fin décembre, le Magistrat affirme que les
séditieux ont tout fait pour soulever toute la
ville et ont également essayé d’entrainer
les gens de Schirrhein et de Kaltenhouse qui
dépendaient de Haguenau. On les accuse aussi de
se rendre dans la forêt pour couper les arbres
selon leur bon plaisir. Finalement le 27 février
1716 le conseil souverain donne raison au Magistrat. On crut alors l’affaire entendue mais
Bettmesser ne s’avoua pas vaincu et continua à
exciter la population. Le mouvement prit de l’ampleur.
Un document de du 27 mai 1716 porte 215 signatures de
bourgeois sur un total de 324 en 1717 soit presque les
deux tiers des bourgeois.
C’est donc bien la majeure partie de la
population qui demande une amélioration de la
mauvaise règlementation forestière.
L’intendant d’Angervilliers prendra alors la
défense de la population à travers un
mémoire rédigé à
l’été ou à l’automne 1716 :
« les habitants dd Haguenau ont
été très maltraités par
l’arrêt de 1696. » On leur
défend « d’entrer dans la
forêt » alors qu’elle est remplie
« d’une quantité extraordinaire de
bois mort qu’on laisse pourrir ». L’intendant
propose de « permettre aux habitants de
prendre des bois morts pour leur chauffage. »
Au même moment la crise devient aussi politique.
Les bourgeois séditieux se plaignent en effet
également de ce que le magistrat est devenu
nettement oligarchique. Depuis 1688, il n’y a plus
d’élection et au sein du conseil de 10 membres,
les places vides se remplissent dorénavant par
cooptation. Les bourgeois voudraient revenir à
l’ancien système avec un conseil de 24 membres,
triennalité des charges et élection
à la pluralité des voix des habitants. Le
magistrat se défend en juillet 1716 en arguant de
la difficulté de trouver du personnel
compétent parlant français dans la
province du fait de la diminution de la population (3000
chefs de famille jadis contre 400 aujourd’hui). Les
quatre Stettmeister étaient alors Etienne
Perraud, également maître des eaux et
forêts et instigateur de l’ordonnance sur
l’interdiction de l’usage du bois de forêt,
Dominque Roberdeau capitaine des portes et aide-major de
la ville, Théodore de Vorstadt originaire du
Brandebourg, et Antoine Niedheimer de Wasenbourg un
gentilhomme du pays. On note également que parmi
les prédécesseurs du siège de de
Vorstadt il y avait Jean Christophe Niedheimer (de 1691
à 1693) et surtout Jean-Francois Huguin (de 1694
à 1699) dont la famille avait une bergerie
à Kaltenhouse.
Plan
de Haguenau en 1694
C’est dans ce contexte sulfureux que Hans Jost
arrive à Haguenau à la fin 1715 ou au
début 1716 et va se mettre au service des
puissantes familles alliées que sont les
Niedheimer et les de Vorstadt. Venait-il d’une des
fermes campagnardes de ces grands bourgeois par exemple
à Schweighouse ou Ohlungen ou venait-il
directement d’un village indépendant comme
Batzendorf ? Je penche pour la première
solution. On a vu dans le chapitre
précédent que dans la région de
Kaltenhouse notamment, les habitants étaient en
conflit de longue date avec les grands
propriétaires comme les Niedheimer. Ce conflit
semble toujours vivace en 1716. On a vu aussi que les
bergers de par la connaissance des fameux parcours,
étaient bien souvent des médiateurs dans
les querelles entre les grands propriétaires et
les villageois. On peut donc penser que la famille Jost
était au service des grands domaines dès
le temps de Hans Jost le vieux et que ses contact lui a
permis de trouver une place à Haguenau. Quand
à la raison de ce déplacement il peut
être du à une offre d’emploi ou à la
dureté de l’hiver 1715-1716. En effet cet hiver
fut particulièrement long, rude et très
neigeux du 20/12/1715 au 31/01/1716 et du début
mars à la mi-avril. A Paris, le
thermomètre marquait -20°C le 22/01/1716. En
Savoie et en Alsace la neige avait 20 pieds
d’épaisseur.[3]
Le fait qu’à Haguenau on empêchait à
présent la population d’utiliser le bois de la
forêt pour ses chauffer ne faisait qu’aggraver la
situation.
A Haguenau, la famille Jost allait
bientôt atteindre une nouvelle fortune. En effet
jusque là, la famille n’avait jamais pu vraiment
approcher les grands bourgeois eux-mêmes, du mois
les actes n’en gardent pas trace. Cette situation change
brusquement en mars 1716 puisqu’il est dit
expressément lors du baptême de sa fille
que Hans Jost est « gardien de bétail
auprès du Noble Maitre de Niedheimer et demeurant
dans la ferme du noble Maitre de Warstatt. »
Il habite donc chez un des Stettmeisters et travaille
pour l’autre. Or il se trouve justement que vers cette
époque les Neidheimer cèdent aux Vorstadt
une maison près du Graben, c'est-à-dire
à la limite de la ville. Serait-ce donc dans
cette ferme que Hans Jost et sa famille habitaient en
1716 ? A cette date pourtant, le parrain de la petite
fille Jost n’est encore que le fils du pelletier Meister
déjà une connaissance du père de
Hans. Quand à la marraine c’est la fille du
forgeron de Batzendorf. Durant les mois suivants, alors
que la tension dans la ville est à son comble,
l’importance du petit berger du Stettmeister semble
encore grandir puisque lors du baptême de Marie
Madeleine Jost le 10 avril 1717 c’est le fils d’un des
stettmeister en personne à savoir « le
noble Maitre Armand Charles de Warstatt Lieutenant dans
le regiment de Toulouse » qui est le parrain
alors que la marraine est la femme de l’autre
stettmeister « la noble Maitresse Johanna
Madeleine Niedheimer, femme légitime du noble
sire Neidheimer » chez lequel Hans Jost
travaille toujours. En 350 ans d’histoire de la famille,
jamais un enfant Jost n’avait eu un parrain et une
marraine si prestigieux. Que valut à Hans ce
privilège ? On peut penser que ce fut le
résultat d’une loyauté certaine durant
cette période trouble. En effet, les
Stettmeisters étant en conflit avec la population
et les villageois des environs ce ne devait pas
être facile de mener leurs troupeaux au
pâturage. Il aura probablement fallut à
Hans Jost tout son savoir faire et son talent
diplomatique pour éviter les ennuis et ses
maîtres durent lui en être gré.
L’aide d’un berger compétent devait
être alors particulièrement
précieuse car cette année 1717
s’annonçait bien mal pour les familles qui
tenaient le pouvoir. En effet le 25 janvier, 1717 deux
des Stettmeister (Perreaud et Roberdeau) sont
forcés de démissionner après 12 et
17 ans à ce poste du fait de conflits
d’intérêt entre leur rôle de
Stettmeister et leurs autres charges. L’intendant parle
alors de les remplacer par une élection qui
devrait avoir lieu en mai 1717. C’est le moment le plus
critique pour l’oligarchie de Haguenau qui peut alors se
sentir vraiment menacée. C’est aussi à
cette époque qu’eut lieu le baptême de
Marie Madeleine Jost.
Mais les grandes familles de Haguenau surent se
reprendre et actionner leurs réseaux. Ainsi le 23
août 1717, est publiée curieusement une
ordonnance diamétralement opposée aux
plans annoncés. Les postes de Stettmeister
deviennent héréditaires. Cette
décision est confirmée par le remaniement
de janvier 1718 où l’intendant confirme
que : « le nombre des habitants de la
ville de Haguenau est si considérablement
diminué qu’on a peine de trouver des sujets
capables de remplir dignement toutes les charges
vacantes dans le magistrat. » Pour cette
raison le gouvernement décide que
dorénavant le magistrat de Haguenau
« ne sera composé que d’un
prêteur, 3 stettmeister, 6
conseillers. » Le 4e stettmeister
est supprimé. Wimpfen est nommé comme 3e
stettmeister, Niedheimer et de Vorstadt conservant leur
poste. La démocratie dans la décapole
à définitivement vécue. L’affaire
du bois par contre sera arbitrée par l’intendant
en faveur de la population à travers l’ordonnance
du 6 novembre 1717 qui donnera en grande partie
satisfaction aux désirs des habitants qui
pourront ramasser dans la forêt du bois de
construction et du bois de chauffage. L’année
1718 fut donc celle de l’apaisement malgré une
dernière tentative d’insoumission de Bettmesser
en décembre. Cette crise mit en lumière le
nouveau rôle joué par les autorités
françaises et la déchéance des
derniers vestiges de la démocratie ancienne. Pour Hans Jost, la pacification de la ville
coincide avec la perte de son influence au sein des
familles des Stettmeister. En effet lorsque naquit
Jean-Michel Jost en septembre 1718, la famille
n’habitait plus chez les Vorstadt et ne travaillait plus
pour les Niedheimer. Hans était à
présent « gardien de bétail
à la ferme de Maitre Kettler ». Les
parrain et marraine étaient de nouveau une fille
de la famille Meister ainsi qu’un habitant de
Kaltenhouse. La famille ne resta pas longtemps chez les
Kettler et probablement dès 1719, elle quitta la
ville pour aller de nouveau s’installer à la
campagne. Passage à Huttendorf Quelque soit la cause de la
brièveté du passage des Jost à
Haguenau, la reconstruction de la région
était maintenant en bonne voie et les villages
entre la Zorn et Haguenau reprenaient le chemin de la
prospérité. La population augmentait
rapidement et les communautés rurales avaient
dorénavant à nouveau un cheptel
conséquent ce qui augmentait les perspectives
professionnelles pour notre famille. S’il est quasiment
certain que la famille quitta Haguenau vers 1719[4],
sa destination est incertaine. En effet elle apparait
à Huttendorf en 1726 mais comme les registres de
naissance de ce village pour la période 1717-1743
ont disparu il est impossible de savoir si la famille
arriva à Huttendorf plus tôt. Quand
à la cause de ce départ, il est peut
être le résultat de la grave crise de
1719-1720 même si l’urbanisation de Haguenau du
fait de l’augmentation de population résultat
inévitablement en la disparition progressive des
étables et bergeries au cœur même de la
ville d’où l’exil forcé à plus ou
moins long terme des métiers liés à
l’agriculture et à l’élevage. Cette crise était la première
depuis la mort de Louis XIV car les premières
années de la régence du duc
d’Orléans avaient été
clémentes. Le prix du sac de blé oscillait
alors aux environs de 40ß et la livre de pain se
vendait 6δ. L’année 1719 commença par un
printemps sec et chaud suivi d’une sécheresse
durant l’été. Le soleil omniprésent
finit par brûler le blé dans les champs
où la terre se mit à s'effriter en
poussière que le vent dispersait.[5]
Il n’en faudrait pas plus pour faire grimper les prix.
Le sac de blé passa à 46ß puis
augmenta encore pendant l’hiver pour atteindre
111ß en 1720, record absolu depuis 1639 ! Nul
doute que la forte augmentation de population en ce
début de siècle favorisa la
pénurie. Durant cette période la livre de
pain passa à 8 puis à presque 18δ soit la
moitié d’un salaire journalier d’un ouvrier
agricole.[6]
Cette situation critique fut encore aggravée par
une série d’épidémies dans diverses
régions du royaume : la variole (petite
vérole) ravagea Paris et fit 14 000 victimes. Une
épidémie de dysenterie durant la canicule
de l’été faucha 450 000 personnes à
travers toute la France, surtout des
bébés. Enfin une épidémie de
peste se déclara en Provence qui ferait en deux
ans 40 000 morts à Marseille et 80 000 morts dans
l'arrière-pays provençal.
"Prix du blé et du pain
à Strasbourg" Hanauer, A., Etudes
économiques sur l' Alsace, ancienne et moderne
(Strasbourg, 1878).
En 1720, une année
tempérée permit une chute des prix
après les recoltes. Le pain revint sous les 10δ
la livre et se négocia entre 1721 et 1723 entre 8
et 9δ et cela malgré deux années
très pluvieuses (le sac de froment était
alors en dessous de 50ß). Les fortes pluies de
1721 provoquèrent des inondations et celles de
1722 créèrent des effondrements de
collines dans les Vosges d’où
résultèrent des zones importantes de déforestation.
Durant ces années de répit où les
récoltes furent tout de même satisfaisantes
la famille Jost s’agrandit de plusieurs enfants
supplémentaires. Ainsi les registres ont
gardé la trace de sept ou huit enfants (dans
l’ordre présumé de naissance) :
Maria, Maria Barbara (1716), Maria Magdalena (1717),
Jean Michel (1718), Laurent, Catharina, Anna, Jacob.[7] Ce répit perdurera toute la
décennie. Le prix du sac de blé
continuerait à osciller sous les 50ß le
résal et la livre de pain était descendue
sous les 8δ. Le climat par contre connaitrait quelques
aléas. Les crues du mois de janvier 1724
provoquèrent de nouveau des inondations mais
heureusement l’été fut de nouveau sec et
chaud. En 1725 par contre l’été fut
gâté par des pluies continuelles qui firent
pourrir les récoltes et une disette s’installa
dans certaines régions de la moitié nord
du pays mais l’Alsace fut épargnée.
L’hiver suivant fut froid et neigeux. En 1726 la
récolte fut heureusement abondante ce qui
résorba la famine dans les régions
françaises touchées mais cette
année-là le roi décréta un
impôt extraordinaire, « le 50e »
qui devait être payé sur les
récoltes de fruits, de foin, de bois, etc… Cela
n’arrangeait évidemment pas les affaires des
familles pauvres. Cet été la famille Jost
eut le malheur de perdre deux enfants alors qu’elle
était installée à Huttendorf. Le 20
juillet 1726, décéda leur fille Anna. Le
curé qualifia la défunte de puella
(jeune fille ou petite fille) ; celle-ci
était donc vraisemblablement âgée de
moins de 15 ans. Puis le destin s’acharna à
nouveau sur la famille Jost, puisque le 19 septembre de
la même année, décéda un
autre enfant, Jacques, qualifié de infans
(enfant) et probablement âgé de moins de 10
ans. Pourtant aucune épidémie n’est
signalée en Alsace cette année-là.
Nous ne savons pas combien de temps Hans Jost
resta à Huttendorf car il n’y a aucune trace de
lui jusqu’en 1737, date à laquelle il apparait au
village voisin de Minversheim. Nous ne savons pas non
plus quel a été son emploi à
Huttendorf (les actes ne le mentionnent pas) même
s’il est quand même probable qu’il y fut berger
puisqu’il sera berger à Minversheim. Mais
était-il berger communal ou berger à la
solde d’un bourgeois de Haguenau ? Nous l’avons vu,
les de Vorstadt avaient une terre à Ohlungen,
juste à côté. D’autre part comme
nous allons le voir, à Minversheim les Jost
habiteront dans le quartier du village appelé
« d’Vorstadt » ; cette
famille devait donc y avoir un domaine. Or vers cette
période Jean Frédéric Antoine
Niedheimer et Armand Charles de Vorstadt décident
d’établir une Bergerie à frais communs.
Peut-être que celle-ci fut établie dans les
environs ? A vérifier.[8]
En 1732, Armand Charles succèdera d’ailleurs
à son père comme Stettmeister de Haguenau.
Les deux partenaires Niedheimer et de Vorstadt sont donc
tous les deux Stettmeister. En tout cas, au service de
la commune ou d’un domaine privé, la vie de
berger à Huttendorf devait être comparable.
Les archives administratives de ce village
gardent la trace de quelques frais payés au
berger communal.[9]
En 1718 le berger embauché reçoit une
toise (environ 2m) de bois (« Clafter
holtz ») pour 8ß et 9ß pour le
mobilier et le poêle de la pièce principale
de la maison du berger (« beschaffen und
stubenoffen in dem hirtenhauß »). Il
semble qu’un nouveau berger venait d’être
embauché (Hans Jost ?). En 1719 il
reçoit 2 toises de bois de
rémunération pour 1R8ß (18ß)
et 6ß de bonus
(« Haftgeld »). En 1725, le
gardien des vaches reçoit un bonus de 5ß.
En 1726, le berger et le gardien des vaches
reçoivent un bonus de 1R1ß1δ
(11ß1δ) ; il semble bien qu’il y a donc plus
d’un berger. Cette année-là les comptes
font aussi mention entre autres de plusieurs frais de
chaux (pour les façades), du salaire du forgeron
pour son travail dans la maison communale (11ß) et
pour le charpentier pour son travail à la
boulangerie communale. En 1727, nouvelle mention du
bonus du gardien de vaches (6ß) et du paiement
d’embauche du berger (18ß). Il semble donc qu’un
nouveau berger fut embauché cette année.
En 1728, bonus du berger (8ß) et en 1729 paiement
à l’embauche du berger (6ß). En 1730 par
contre pas de mention de berger ou de gardien de vaches.
Il semble donc que durant ces années il y eut
quelques changement dans les positions de berger et
gardien de vaches. On notera que tous les montants
indiqués sont très faibles puisque la
journée de travail était
rémunérée environ 3ß. Le
berger tenait l’essentiel de son salaire des
particuliers qui le payaient en nature ou en
espèce en fonction des bêtes
gardées. On peut estimer son revenu annuel
à quelques centaines de schillings (ou quelques
dizaines de florins). Etablissement
à Minversheim Hans Jost va
finalement s’installer à Minversheim où on
trouve sa trace à partir de 1737. Le 19 novembre de cette
année-là, Hans Jost gardien de
bétail (« pastor ovium »)
à Minversheim conduisit à l’autel sa fille
Marie qui épousait Mathias Michel-Hans de
Wittersheim. Ce couple sera signalé plus tard
à Hochstett où Mathias exercera la
profession de berger. Les témoins du mariage
sont Hans Jost, Caspar Michelhans habitant
Niederschaeffolsheim, Andreas Singer habitant Ohlungen,
et le jeune homme Antoine Michelhans habitant
Bürgenwald [Birkenwald ?]. On note donc une
relation à Ohlungen qui fournit un indice
supplémentaire sur le passage possible de la
famille dans cette commune avant son arrivée
à Minversheim. La raison de ce déménagement
est inconnue mais il n’est pas impossible qu’une fois de
plus Jean ait été forcé au
départ par la crise, celle de 1735-36. En effet
la grande humidité et les fortes pluies de
l’été 1734 ont déclenché une
épidémie de “fièvre miliaire”. La
mortalité augmente et, combinée aux effets
de la guerre de succession de Pologne (1733-1738), donne
lieu à la plus grande inflation depuis la crise
de 1718-19.[10]
Le prix du sac de blé à Strasbourg repasse
la barre des 60ß et la livre de pain remonte
à 10δ en 1734 et 1735. Ceci correspond à
20% d’augmentation par rapport au prix de 1733 (8.6δ). La famille restera
à Minversheim jusque vers 1748-1749,
c'est-à-dire entre 10 et 20 ans. Or, fait
remarquable, cette présence relativement courte
verra néanmoins son nom s’attacher à une
ferme et en devenir le
« Hofname ». En effet le livre sur
l’histoire de Minversheim[11]
qui répertorie tous les Hofname du village
indique que le nom de la maison située au 2, rue
du Faubourg est s’Joschde, qui vient assurément
« du patronyme Jost ».[12]
La maison actuelle date de 1906 mais elle a gardé
le Hofname de la construction précédente.
Quand on sait que les Hofname datent en
général du milieu du XVIIIe siècle
au XIXe siècle le fait que le passage des Jost
dans les années 1730-40 ait été
suffisant pour marquer la communauté est donc
assez remarquable. Nous reviendrons sur les raisons de
cette situation. Notons également que la rue du
Faubourg tient son nom de la traduction française
de s’Vorstadt, nom qui indique clairement que cette
famille avait un domaine dans cette zone. D’ailleurs la
même source indique que le Hofname du 3 rue
du Faubourg est s’Rotjockel’s qui « vient du
patronyme Rothjakob, intendant des biens de von
Vorstadt » au XVIIIe siècle. Le
registre des mariages de la paroisse de Minversheim
relate que « le 21 janvier 1763 le
très illustre et cultivé conseiller M.
François, Georges, Louis Rothjakob, avocat du
tribunal suprême de Metz, fils de Georges
Rothjakob Syndic à Haguenau, épouse
demoiselle très noble Marie Richarde de Vorstadt,
fille du défunt très noble M.
Théodore de Vorstadt, Seigneur à Ohlungen
et Keffendorf. » La famille Rothjacob est une
vieille famille bourgeoise de Haguenau mais le substitut
syndic et greffier François George Rothjacob
apparait dans les archives de Haguenau vers 1742-43. Au XVIIIe siècle, le quartier de
Vorstadt qui s’étend le long de la rue du
Faubourg au nord-est du village vers Huttendorf comptait
surtout des ouvriers, journaliers et artisans tel que
des cordonniers, selliers, tailleurs, menuisiers, et
tonneliers. Pas de ferme donc. Dans cette partie se
trouvait aussi le Judebuckel situé sur une
hauteur ou habitaient les quelques familles juives du
village signe d’une présence commerciale à
Minversheim. Quand aux agriculteurs
propriétaires, ils habitaient à l’ouest et
surtout au sud du village. La présence de Hans
Jost à Minversheim est donc peut-être
liée au domaine des Vorstadt pour laquelle notre
famille a travaillé à Haguenau.
rue du Faubourg - Minversheim
Les fonctions et les alliances de Hans Jost Jusqu’à
l’arrivée à Huttendorf, les bergers de la
famille, on l’a vu, étaient surtout
attachés aux grands domaines de la
périphérie de Haguenau et leurs relations
comprenaient bourgeois, commerçants et artisans
de cette zone. A partir de son installation à
Minversheim, la famille va se rapprocher des autres
dynasties de bergers des environs et de la
confrérie des bergers de Basse-Alsace qui encore
quelques décennies auparavant représentait
surtout la seigneurie de Hanau-Lichtenberg à
prédominance protestante. Ce changement dans
l’environnement de la famille est nul doute le
résultat de la renaissance dans
communautés villageoises après les crises
du règne de Louis XIV. Pour la famille Jost,
cette nouvelle tendance se voit surtout à travers
les alliances contractées à l’occasion des
mariages des enfants de Hans Jost. On n’a
déjà mentionné le mariage de Maria
Jost avec Mathias Michelhans qui deviendrait berger
à Hochstett. Les autres alliances furent les
suivantes : En 1742,
Madeleine, unit sa destinée à celle
de Philippe Heidmann, berger à Mommenheim. Ce mariage est
important pour la reconnaissance de Jean au sein de la
confrérie des bergers. Quelques années
plus tard, entre 1745 et 1747, le jeune couple ira
s’installer à Willgottheim. Le 8 janvier 1743, deux fils de Jean et de
Marie Jost se marièrent le même jour :
- Laurent Jost épousa Marie Keller, fille de Thomas Keller, tisserand à Mommenheim qui habitait cette commune au moins depuis son mariage en 1716. Thomas Keller avait aussi des connaissances à Huttendorf, puisqu’en 1730 il fut témoin à un mariage dans ce village. Laurent s’installera comme berger à Minversheim avec son père. - Michel Jost devint
l’époux de Marie Oberlin, fille de Michel Oberlin
(ou Oberlé), berger à Hohatzenheim. Hans
Jost établissait ainsi une troisième
alliance avec une famille de bergers de la
région. Pour sa part, la famille Oberlin comptait
d’ailleurs plusieurs bergers dans le secteur de
Hohatzenheim-Wingersheim. Michel ira s’installer comme
berger à Truchtersheim. Il semble que son
beau-père ou un beau- frère l’y ait
rejoint, puisqu’un certain Michel Oberlin apparaît
dans ce village dès 1744. Michel fera
également un séjour à Haguenau dans
les années 50 où naitra un de ses enfants. Ainsi, en quelques années, Hans
Jost s’est allié à trois familles de
bergers de la région, de même qu’à
celle d’un tisserand de Mommenheim. A cette
époque, Mommenheim se développait comme
carrefour commercial, grâce notamment à son
moulin sur la rivière Zorn, datant de 1698 et
agrandi dès 1743.[13] Le salaire du berger Lorsque le
berger travaillait pour un grand domaine privé et
que sa fonction s’apparentait à un gérant,
on l’a vu, sa rémunération était
probablement liée au revenu total du troupeau ce
qui présentait l’avantage pour le
propriétaire de stimuler le berger à
obtenir le meilleur rendement de ses bêtes. Ce
système, lorsque le troupeau était
important permettait aussi au berger de toucher un
revenu consistant même si dans ce cas, il y avait
sans doute plus d’un berger. Du temps d’Hans le vieux on
a estimé la rémunération du berger
en charge de la gestion du troupeau du domaine à
environ 140R (en supposant que le berger travaillait
seul.) Hans le jeune travailla peut-être sur le
même principe lorsqu’il était au service
des grands bourgeois de Haguenau mais dès son
retour à la campagne, il redevint sans doute
salarié, payé par les paysans du village
en fonction du nombre de bêtes à garder. Nous n’avons pas
d’estimation du salaire du berger pour le milieu du
XVIIIe siècle mais dans le chapitre suivant nous
verrons que deux générations plus tard,
vers 1780, un vacher touchait environ 60
à 65lb par an (120-130R) et un porcher environ
50lb (100R). D’autre part, vers 1740-1750, un valet de
labour à Mulhouse touchait environ 40R par an et
une servante 16 à 20R. Enfin, toujours à
Mulhouse un journalier touchait environ 26δ par jour
soit 2.2ß.[14]
En extrapolant ces données, on peut estimer le
salaire annuel de Hans Jost à Minversheim
à 60-80R (30-40lbs). Le berger justifiait ce
salaire deux fois plus important qu’un valet de labours
par sa connaissance du parcours, c'est-à-dire des
limites cadastrales à respecter tout en essayant
de trouver les meilleures terres communes et par sa
connaissance des animaux et des soins à leur
apporter. D’autre part, grâce aux relations
confrérie, le berger pouvait aussi obtenir le
meilleur prix de la laine à vendre au
marché de Pfaffenhoffen. Mais, malgré ces
avantages, au milieu du XVIIIe siècle, le
métier de berger semble avoir perdu beaucoup de
son attrait et de son aura comparé à la
génération précédente
lorsque dans l’Alsace dévastée, les grands
domaines autour de Haguenau avaient été
les fers de lance de la relance économique
d’après-guerre. C’est probablement pour cette
raison qu’en 1745 la confrérie des bergers
chercha à renouveler ses statuts et à
revigorer ce métier ancestral. La confrérie des bergers au XVIIIe
siècle La confrérie des bergers de
Basse-Alsace, nous l’avons vu au chapitre
précédent, était patronnée
par le comte de Hanau Lichtenberg qui d’ailleurs
contrôlait aussi sur ses terres, à
Pfaffenhoffen, le marché de la laine.
C’était donc les bergers de sa seigneurie qui de
tous temps jouèrent le rôle principal au
sein de la confrérie. Les archives de cette
corporation[15]
contiennent une série de documents datant de 1659
à 1769 mais les pièces maitresse sont les
deux renouvellements des statuts de 1659 et 1745. Ceux
de 1659, on l’a vu, sont paraphés par trois
bergers de la seigneurie de Lichtenberg (Hoerdt
près de Brumath, Menchohffen près
d’Ingwiller et Pfaffenhoffen). Ils intervenaient dans un
contexte de reconstruction de la province après
les dévastations de la guerre de 30 ans. Les
campagnes étaient alors désertées
et le moteur de la relance dépendait des grandes
villes comme Strasbourg et Haguenau où la
population avait pu se réfugier. Il n’est donc
pas étonnant qu’à cette époque ce
sont les bergers des grandes agglomérations de la
seigneurie qui paraphèrent le document. Le
renouvellement de 1745 par contre semble toucher une
zone plus vaste puisque 9 confrères
paraphèrent le document, 5 était issus du
comté de Lichtenberg, 3 de la décapole et
un de la baronnie de Fleckenstein. Hans Jost
était justement l’un des trois bergers
délégués par la décapole en
compagnie des frères Vogler bergers à
Hochfelden et Kindwiller. La réunion eut lieu le
9 mars 1745 et fut présidée par le
secrétaire seigneurial Félix de
Fouquerolle au nom du comte de Hesse-Hanau-Lichtenberg.
L’introduction de ce texte est la suivante : « Devant nous Claude Felix de
Fouquerolles sécrétaire du comté
royal de Hesse-Hanau-Lichtenberg, des juridictions de Bouxwiller,
Pfaffenhoffen, de Ing- et Neuwiller, en tant que patron
décrété de la confrérie des
bergers de Pfaffenhoffen, sont apparus en personne Jean
SCHNEIDER, le berger seigneurial d’Eckendorf, en tant
que maître de la confrérie pour cette
année, Caspar HORN, le berger de Utwiller,
Theobald WALTHER le berger de Prinsheim, Abraham SCHNEPP
et Jean-Jacques CREUTZ, tous les deux bergers à
Obermothern, de la seigneurie royale locale de
Hesse-Hanau-Lichtenberg, Hanns VOGLER le berger de
Kindwiller, Jean-Jacques VOGLER le berger de Hochfelden
et Hanns JOST le berger de Minversheim, de la
Prévôté royale, et Jacques
HIERONIMUS le berger de Zutzendorf, de la baronnie de
Fleckenstein ou de la juridiction de la Chevalerie, et
celui-là également comme maître de
la confrérie des bergers de la gracieuse ville de
Paffenhoffen, tous les précédents mais
aussi bien pour soi, comme au demeurant leur
confrères de la confrérie citée,
ceux-là donnèrent unanimement à
entendre en conséquence le renouvellement de leurs
articles qui dataient de l’année
1659…. »
Copie de la
signature de Hans Jost sur le document de
renouvellement des articles de la confrerie des
bergers
(copie de 1746 de l'original de 1745) "Hannss IHS Josten signum"
Importance de confrérie La suite du préambule indique
clairement la raison du renouvellement des articles de
1745 : « …la confrérie
s’égarant toujours davantage en dérives,
de sorte que là où avant presque tous les
bergers du district de Basse-Alsace étaient
incorporés, à peine 40 à 50 se sont
présentés » Ainsi en 1745, de l’avis même des
bergers la représentant, la confrérie est
en déclin par rapport à une époque
antérieure où tous les bergers de
Basse-Alsace y adhéraient. Ce
« avant » dont il est fait
mention, n’est probablement pas l’époque du
renouvellement précédent de 1659 lors
duquel les bergers de la confrérie devaient
être fort peu nombreux : la
raréfaction des communautés villageoises
et les antagonismes religieux hérités de
la guerre de 30 ans devaient avoir affaibli
sérieusement la confrérie comme d’ailleurs
toutes les autres structures sociales de la province.
L’âge d’or évoqué est sans doute
l’époque d’avant la guerre de 30 ans lorsque
l’Alsace était opulente et apaisée par
rapport aux affaires religieuses, ainsi que dans une
moindre mesure le début du XVIIIe siècle
et plus particulièrement après la guerre
de succession d’Espagne lorsque la province était
en pleine expansion et que la population augmentait
sensiblement surtout dans les campagnes.
D’ailleurs à partir du XVIIIe
siècle, les pouvoir locaux comme le magistrat de
Haguenau et le comte de Lichtenberg diminuent largement
au profit de l’intendant au service du roi de France.
Les problèmes locaux tendent donc à
devenir similaires entre les terres du comté et
celles de la décapole qui n’est plus qu’une
coquille vide. D’autres part, les différences
religieuses exacerbées par la guerre de trente
ans, elles aussi diminuent en ces temps de paix et de
croissance démographique. Aussi, on assista
probablement à un rapprochement entre les bergers
de la décapole (catholiques) et ceux des terres
seigneuriales (protestants). Le préambule montre
d’ailleurs clairement le souci de fédérer
au sein de la confrérie des représentants
de toutes les composantes territoriales de la province,
aussi bien des seigneuries que de la décapole. En
retour, il n’est pas surprenant que ce même
préambule mentionne explicitement la
reconnaissance par la confrérie de
l’autorité royale, autorité suprême
au dessus des seigneuries : « [les
bergers de la confrérie ont décidé
de] renouveler, ratifier et homologuer ceci pas
seulement par une autorité seigneuriale
supérieure et très gracieuse, mais aussi
par le Conseil royal souverain de Colmar, et de
l’élever comme leur suzerain prescrit, devenant
rogatoire, de s’y tenir désormais et d’approuver
les articles donnés de la confrérie.
» Pour la famille Jost qui pratique le
métier de berger depuis environ 1686, c’est
surtout à partir des années 1720-1730
qu’on note clairement un rapprochement avec les autres
familles de bergers. C’est sans doute un signe de
resserrement des liens de la confrérie à
cette époque. En 1745, soit 20 ans plus tard,
Hans le jeune devait déjà faire figure
d’ancien au sein de la corporation et donc naturellement
désigné comme l’un des signataires du
document de renouvellement. Rassemblement annuel « PREMIEREMENT
dorénavant comme dans les temps anciens, la
convention de la confrérie doit se tenir dans la
petite ville de Pfaffenhofen, comme le lieu
approprié le jour suivant la saint Michel, dans
l’auberge indiquée, où tous les
confrères doivent se rendre tôt le matin
à 7h, … » « Les temps anciens »
font sans aucun doute référence au Moyen
Age, en tous cas bien avant 1659 et avant la guerre de
Trente ans. La tournure de la phrase signale aussi
qu’à l’époque du rassemblement de 1745 la
réunion de la confrérie ne se tenait plus
à Pfaffenhoffen. Or, les archives de la
corporation contiennent un acte de 1742 qui
décide du transfert de l’auberge de la
confrérie de Pfaffenhoffen à Bouxwiller.
L’acte de 1745 rétablit donc le lieu de
rassemblement ancestral à Pfaffenhoffen. Nous
savons d’autre part que l’auberge en question est la
Charrue, au 18 rue du Docteur Albert Schweitzer à
Pfaffenhoffen. Le bâtiment fortement
remanié daterait de la 2e
moitié du XVIIe siècle. On apprend aussi
que le rassemblement se tenait à la Saint-Michel
(29 septembre), saint qui est donc comme pour la
confrérie de Haute Alsace aussi le patron des
bergers de Basse-Alsace. « Si la Saint-Michel
tombe un jeudi, vendredi ou samedi, alors le jour de la
réunion se tiendra au lundi suivant et le
dîner de cette occasion aussi le même
jour. » La suite de l’article 1er, fixe
précisément le déroulement du
rassemblement : « après le rassemblement
[à l’auberge] ils sont tous imposés de 7
schillings et 6 pfennigs et vont de là en
procession ordonnée, d’une blancheur silencieuse
et respectueuse à l’église, où ils
écouteront la parole de Dieu, du début
à la fin, dévots comme il se doit pour des
Chrétiens, et de la même manière
qu’il advint jusque là, ils vont en blanc et en
ordre jusqu’au au sacrifice, après quoi en
procession régulière et uniforme ils
reviennent sur la Place [du marché, devant
l’église ?] où le mouton des fils et
domestiques des jeunes bergers et des bas fournis par
les jeunes filles sont choisis (pour créer un
revenu de la guilde dont les deux parts du maitre de la
confrérie), ensuite à la fin du tour dans
le même ordre on va à l’auberge
réservée, dans la même où on
assiste à la lecture des articles de la
confrérie, après quoi chaque membre devra
verser le montant de sa contribution aux maîtres
dans la cagnotte, mais il sera approprié que l'un
ou l'autre de ces frères, dans le besoin, ou pour
un autre empêchement important, qui ne pourrait
pas comparaitre en personne le jour de la
réunion, dans ce cas ceux-là qui ont un
empêchement, tributaires de l’obligation aux
maitres, annoncent et payent par l’intermédiaire
de quelqu’un d’autre, sept schillings et six pfennig par
contribution. » La journée se finit par un grand
repas organisé par la confrérie : « DEUXIEMEMENT le dîner
en question doit être commandé 14 jours
avant la réunion par l’intermédiaire des
maîtres respectifs auprès d’un aubergiste
arbitraire, où les membres actifs seront
régalés le jour de la confrérie,
mais aucun des membres ne sera autorisé, ce
jour-là, à se nourrir dans une autre
auberge que celle où le repas est prévu,
sous peine d’une amende de 10 schillings. »
Ancienne auberge "A la Charrue", probablement construite au 17e siècle, après la guerre de Trente ans, malheureusement dénaturée par plusieurs modernisations : rez-de-chaussée refait, pan de bois remanié, fenêtres agrandies avec réduction d'allèges et suppression de croix-de-Saint-André. Cette auberge fut le siège des assemblées annuelles de la Confrérie des bergers de Basse-Alsace, après 1651 jusqu'à la Révolution ; au 18e siècle la confrérie regroupait les bergers de près de 200 communes. Au Moyen Age déjà, Pfaffenhoffen était l'un des centres importants du commerce de la laine et de la fabrication textile.
Enjeu principal du renouvellement de 1745 La décision des bergers de
renouveler leurs statuts intervint, on l’a dit, dans un
contexte de déclin de la confrérie. Seuls
40 à 50 bergers sont présents au
rendez-vous sur les 188 villages normalement
représentés à la confrérie
dont 99 appartiennent à la seigneurie de
Lichtenberg.[16]
D’après le préambule du document, cet
état de fait provient « des
dérives » de la confrérie,
notamment en matière de punitions qui
« furent appliquées trop
modérément », du fait aussi de
l’impossibilité d’appliquer ces punitions en
dehors de la juridiction de la confrérie. Enfin
ils blâmaient « les guerres
d’antant » qui empêchaient la
confrérie de jouir de toute l’attention dont elle
avait besoin. Le présent renouvellement avait
donc pour but de réglementer plus strictement les
entrées et les sorties des adhésions ainsi
que de juger plus sévèrement les
délits. Il était aussi important de faire
comprendre à tous les confrères de
l’importance pour chacun de favoriser les autres
confrères et d’encourager les fils à
choisir le métier de berger. Frais d’adhésion « QUATRIEMEMENT un berger qui
désire adhérer à cette
confrérie, celui-là lorsqu’il devient un
maitre appartenant à la confrérie, doit
donner au début et chaque année suivante
un schilling à la cagnotte et l’y déposer
dans cette mesure. CINQUIEMEMENT si dans cette
confrérie le fils d’un Maître membre
voulait devenir maître berger, celui là
doit payer toute de suite après son admission 1
florin 5 schilling à la caisse des maîtres,
fournir aussi encore la coupe du maître remplie
avec du vin. Mais un berger ou fils de berger qui bien
que membre ailleurs mais pas ici, doit aussi payer pour
la charge de la coupe du maitre à son inscription
5 florins à la caisse des maîtres. SIXIEMMEMENT un paysan ou autre personne
dont le métier et les revenus ne sont pas ceux
d’un berger, et qui veut devenir berger, celui-là
doit payer 10 florins à la caisse des
maîtres pour la charge de la coupe du maitre
à son inscription. » Démission « SEPTIEMEMENT si l’un des
confrères choisit de quitter la confrérie,
dont il a été membre, il doit acquitter 2
florins pour la charge de la coupe de maitre, pour qu’il
puisse quitter la confrérie, et ainsi être
rayé de tous les ordres édictés;
toutefois ces noms ne seront pas supprimés de la
confrérie, mais resteront incorporés de
même ici. » « HUITIEMEMENT aucun berger ne
se permettra de renvoyer un autre berger de son service,
avant que ce dernier ne soit convenablement averti par
une annonce ; qu’il acquitte l’une ou l’autre
partie, il doit aussi tout de suite, devant la
renonciation ci-dessus, ne pas tronquer ou diminuer la
rémunération, sous peine d’une amende de
10 florins, et pas moins, il ne doit pas non plus lui
être permis, ni avant ni après la
renonciation de garder pour lui moins de moutons qu’il a
été octroyé au berger de la
commune, sous peine d’une contravention de 10 florins
sans faute et sans délai. » Priorité à la confrérie 1-
Pour le travail de berger « DIXIEMEMEMT aucun
maître membre ne peut prendre un non-membre comme
assistant pour la tonte, sous peine d’un florin d’amende
à chaque fois qu’il le fait. ONZIEMEMENT aucun maître membre
n’est autorisé à faire tondre un mouton
auprès d’un marchand qui a une bergerie ou d’un
juif pour moins de 4 deniers sous peine d’une amende
d’un florin 5 schillings DOUZIEMEMENT lorsqu’un maître
embauche un valet, le valet et le maître doivent
avoir 14 jours d’essai, durant lesquels, l’un puisse se
réfuter auprès de l’autre, mais
qu’après l’expiration des 14 jours, le parti se
réfutant devra payer deux florins, comme pas
moins qu’un maître à un autre de ses
domestiques, valet ou domestique, avant ce temps,
où ils se sont engagés auprès du
maitre, qu’il cherchait à s’en défaire, le
même doit immédiatement avancer à la
confrérie deux florins d’amende. » 2-
Pour la vente de la laine QUINZIEMEMENT lorsqu’un berger non membre
ou autre marchand vend de la laine aux marchés de
Pfaffenhoffen, de chacun de ces points de vente de
laine, en considération que les marchés de
laine de la confrérie ont été
érigés pour moitié à
Pfaffenhoffen, la confrérie y
prélèvera un florin. 3-
Ecarissage SEIZIEMEMENT comme dans les temps anciens,
les moutons morts ne doivent pas être
équarris par un équarrisseur mais par un
berger, sous peine que les équarisseurs ou le
parti qui s’en est chargé aient à payer
une amende de 4 florins à la confrérie. Délits et comportements proscrits 1-
Ivresse : « NEUVIEMEMENT si un berger
employé par une commune, s’engage [s’endette]
pour plus de deux florins en valeur ou monnaie pour
acheter du vin, celui-là doit être
sanctionné de six florins d’amende à la
confrérie. » 2-
Bagarres et insultes : « TREIZIEMEMENT le maître
ou valet qui provoque une querelle, une discorde ou une
bagarre lors du jour de rassemblement de la
confrérie, ou encore s’il jure inutilement, par
les saints sacrements de Dieu, par le ciel, la Terre ou
des choses pareilles, celui là devra trois
florins en qualité de la chose, mais celui qui le
même jour se bat ou frappe, celui-là devra
débourser environ six florins d’amende
après l’établissement de son
crime. » 3-
Vol : QUATORZIEMEMENT, un berger qui met la main
sur un mouton en le volant, ou s’il vient à se
trouver dans son troupeau, qu’il le garde en secret par
colère ou par malice, et qu’il ne le laisse pas
rentrer dans son lieu d’appartenance, celui doit payer
six florin d’amende à la confrérie sans
compter la perception supplémentaire de la
seigneurie. Encouragement des vocations « DIXSEPTIEMEMENT il
considéré comme souhaitable que les
confrères s’engagent dans la confrérie,
bien que qu’il soit permis à leurs fils
d’apprendre un métier manuel honorable, et
à leur filles de se marier avec de telles
personnes, ce qui est inséré ici comme un
article séparé. »
Présence à la réunion
annuelle « VINGTIEMEMENT alors que
depuis les temps anciens, tous les bergers alsaciens de
tous les villages et seigneuries des arrondissements de
Basse Alsace avaient leur réunion annuelle de
confrérie à l’endroit
désigné de Pfaffenhoffen, ceux qui sont
domiciliés dans d’autres seigneuries, au moins en
partie incorporées à la confrérie,
ou qui y sont incorporés bien que [le fait ne
soit] pas encore publié, ainsi ceux-là
doivent où c’est possible adhérer à
la confrérie, et ceux qui ont été
incorporés doivent venir au jour de fête de
la confrérie, sous peine de se voir infliger une
amende, au cours duquel rassemblement toutes les erreurs
et problèmes de cette confrérie seront
arbitrés par les confrères, mais pas
devant le tribunal ou la justice, mais plutôt
devant le maitre des confrères et comme sa
composition finale doit être, ainsi il se
composera et arbitrera. »
Tandis que Hans et Maria Jost
avançaient en âge, leur famille
commençait à bénéficier
d’une réelle reconnaissance au sein de la
communauté villageoise. Il est vraisemblable que
Jean et ses fils aient profité du nouvel
élan insufflé par la confrérie pour
consolider les alliances matrimoniales fraîchement
constituées. Ainsi, en 1745, lors de la
rédaction de l’acte de sépulture de son
épouse Maria Bur, Hans renforça ses liens
avec Philippe Heidmann, habitant toujours à
Mommenheim, en le choisissant comme témoin
à la place de ses fils. La même
année, Catherine Jost, le dernier enfant
célibataire de Hans, fut choisie comme marraine
du nouveau-né du tisserand Jean Wolf de
Minversheim. Ceci était une première pour
la famille. L’acte de baptême est tout à
fait explicite puisqu’il cite la marraine Catherine
Jost, fille de Hans Jost. En 1746,
Catherine Jost se mariera à son tour. Elle
épousera à Minversheim Antoine
Stahlé de Haguenau. La profession du jeune
marié n’est pas connue, mais son origine indique
que la famille avait gardé des contacts en ville.
La signature de Hans Jost S’agissant de l’école rurale au
XVIIIe siècle, on ne peut que se
reporter au remarquable travail de l’historien
Jean-Michel Boehler, selon qui l’école
de campagne était un instrument
d’éducation religieuse et morale, sans remplir
efficacement la mission d’éducation populaire
que nous lui reconnaissons aujourd’hui.[17]
La communauté villageoise embauchait un
maître d’école placé sous
l’autorité du curé de la paroisse. Les
enfants ne fréquentaient les bancs scolaires que
durant les mois d’hiver afin de pouvoir participer aux
travaux des champs pendant le reste de l’année,
... et sur les bancs de l’école, on trouvait
plus de garçons que de filles. Il était
souhaitable que ce soit l’homme qui ait quelques
rudiments d’instruction.[18] Le signature des personnes au pied
des actes officiels est un élément
intéressant pour déterminer leur niveau
d’instruction ;
Jean-Michel Boehler a analysé que la
signature était le reflet du statut social.
Les plus instruits des villageois signaient de leur nom,
souvent d’ailleurs d’une main hésitante et peu
experte. Les autres signaient d’une croix, d’un cercle
ou quelques fois, pour les plus créatifs, d’un
signe plus personnel qui pouvait être en rapport
avec la profession de l’intéressé (des
ciseaux pour un tailleur) ou la religion ; dans ce
dernier cas, on peut penser que la personne choisissait
un signe rappelant une image vue dans l’église ou
sur un monument. Parmi les signes
personnels observés lors des présentes
recherches, on peut relever ceux de Thomas Keller,
beau-père de Laurent Jost, et de Hans Jost
lui-même ; ils sont parmi les plus
créatifs à travers leur complexité.
Il n’a pas été possible d’élucider
la signification du signe de Thomas Keller, qui semble
articulé autour de la lettre H et pourrait
être d’ordre religieux ou lié à sa
profession. Toujours est-il qu’il apparaît
déjà en 1730 sur l’acte signé
à Huttendorf.[19] En revanche, le signe de
Hans Jost a une origine plus claire, puisqu’il
dérive du monogramme religieux IHS ; ce
monogramme, très répandu au XVIIIe,
symbolise le nom de Jésus-Christ.[20]
Il est en général accompagné d’une
croix sur le H, et d’un cœur transpercé de trois
clous sous le H. Ce monogramme est présent par
exemple sur une pierre tombale de Minversheim datant de
1763. Le cœur et les clous y sont simplifiés en
un cercle rétréci à la base
transpercé d’un seul clou sur la droite. Lorsque
Hans Jost signe IHS, il marque bien la croix sur la
lettre H, mais
en dessous, à la place du coeur et des clous
traditionnels, il inscrit ce qui ressemble à un n ou un n inversé, c'est-à-dire
« un pont » transpercé
d’une barre, clairement inspiré d’un motif
similaire à celui de la pierre tombale de
Minversheim. Cette façon de signer n’est
toutefois pas stable. Sur les cinq signatures
examinées, chacune est légèrement
différente des autres, même les deux
signatures du 8 janvier 1743, écrites à
quelques heures d’intervalle, sont différentes
l’une de l’autre. Le S est parfois à l’endroit, parfois
à l’envers, le n aussi, quand il n’est pas tout simplement
oublié.
Quelque soit ces
différences, il est probable que Hans Jost ait eu
l’idée de copier ce signe religieux qu’il a
effectivement vu soit à l’église, sur une
croix de cimetière, ou plus vraisemblablement sur
une croix des champs (Feldkreuz)[21]
que son métier de berger lui permettait
d’observer et de vénérer. Sur le ban de
Minversheim, on dénombre encore aujourd’hui
plusieurs croix du XVIIIe siècle. Par
ailleurs, dans le cimetière de Huttendorf, on
trouve le monogramme sur trois ou quatre anciennes croix
de cette époque.[22]
Les
5 signatures de Jean Jost entre 1726 et 1745
comparées au monogramme gravé sur une
pierre tombale de Minversheim de 1763
Faits divers durant la décennie
à Minversheim
Le 28 janvier 1743, en plein hiver,
exactement vingt jours après le mariage de ses
deux fils, Hans Jost apparaît comme témoin
lors de la rédaction d’un acte d’inhumation.
C’est la seule fois, semble-t-il, qu’il ait
été appelé à être
témoin. Ce jour là, on a porté en
terre une certaine Anne Catherine, qualifiée de fille
naturelle et vagabonde. En plus du curé,
rédacteur de l’acte, sont
mentionnés deux autres témoins, à
savoir Lambert Krauss qui signe de ses initiales, et
Nicolas Zothner qui signe de son nom. Pour signer, Hans
Jost utilise son monogramme habituel. On peut se demander pourquoi l’humble
berger du village a été appelé
à témoigner de ce décès,
d’autant plus qu’il est inhabituel que trois
témoins signent un acte de sépulture. En
général, la présence de deux
témoins est requise, parfois seulement celle d’un
seul. La présence de Hans peut vouloir dire que
le berger connaissait Anne Catherine, ou même
qu’il l’a découverte, probablement morte de
froid. En parcourant les champs et les pâturages
avec son troupeau, il a pu rencontrer la vagabonde dans
ses pérégrinations. Il est possible
qu’après avoir découvert le corps de la
défunte, il l’ait signalé à Lambert
Krauss et Nicolas Zothner, ce qui expliquerait la
présence des trois hommes à l’enterrement.
Politiquement, les années 1740 sont
marquées par la guerre de succession d’Autriche
(1740-1748).[23]
En 1744, l’Alsace du Nord et le Kochersberg ont
été envahis par l’armée
autrichienne et soumis au pillage mené par ses
soldats irréguliers, des mercenaires
placés sous les ordres du colonel Trenck ;
ces hordes ont reçu le sobriquet de Pandours
à cause de leur origine balkanique. Le souvenir des exactions des Pandours
est resté gravé dans la mémoire
collective de la région. On connaît
l’affaire du palefrenier du château de
Mittelhausen et la malédiction du Pandour.
Leur présence est attestée à
Hohatzenheim où ils occasionnent des
dégâts, à Wingersheim où
l’armée autrichienne campa quelques jours et
à Huttendorf où, au mois d’août, un
soldat autrichien trouva la mort, sans doute lors d’une
escarmouche. Minversheim, Le village de Hans Jost, n’a
pu rester à l’écart des rapines
habituelles de la soldatesque. Même à
Stutzheim, le plan cadastral conserve toujours un
lieu-dit Panduren-Platz, perpétué
sur une plaque de rue. La fin d’une génération La guerre de succession d’Autriche, comme
la plupart des guerres, est accompagnée d’une
crise économique. Celle-ci s’avère plus
longue que celle de 1735-36. Durant les années
1742-44 la malpropreté, l’entassement
domiciliaire et le passage des réfugiés
provoquent des épidémies de grippe et de
typhus qui entraînent une inflation larvée.
La crise des prix dure presque toute la décennie.[24]
Le prix du sac de blé oscille au dessus de
60ß et la livre de pain se vend au-delà de
10δ. Maria Bür meurt en janvier 1745,
peut-être victime de l’une de ces
épidémies. Hans vit toujours avec son fils
Laurent et sa famille à Minversheim. Finalement,
Hans meurt à son tour à Minversheim le 10
mars 1748. Ses deux fils Laurent et Michel sont
témoins. Ils devaient avoir environ 55-60 ans. Peu après Laurent quittera le
village. La situation de la famille s’est sans doute
dégradée avec la situation
économique et Laurent se préparait
probablement à partir depuis un certain temps. La
mort de son père aura donné le signal du
départ. Ainsi s’éteignait une nouvelle
génération des Jost, alors qu’une autre
prenait la relève.
Itineraire
de Hans Jost entre 1715 et 1748
[1] Registres
de Haguenau : Marie Catherine Jost
épouse le nommé Pierre Schaff,
berger, le 28 Mai 1711. Le couple s’installe
à Schweighouse. Son fils Joseph né
le 12 Juin 1717 s'est vu donné comme
parrain un nommé Henri Haas de Kaltenhouse. [2] Merci
à Guy Loll pour cette information. [3] Association
Nazairienne de Généalogie.
http://angeneasn.free.fr/epidemies.htm [4] (car Laurent
Jost est probablement né vers 1720 et son
baptême ne figure pas dans les registres de
Haguenau) [5] Météo
Climato et photo en Alsace Moselle CLI.M.A.
www.clima.fr [6] Le
journalier touchait alors 2 à 3ß pour
une journée de travail soit 30δ. [7] Il est
possible que Maria et Maria Barbara sont en fait la
même personne. Maria Barbara n’apparait plus
après sa naissance et Maria se marie en 1737
ce qui signifie qu’elle est née avant 1717. [8] Archives de
la ville de Haguenau – Affaires
particulières. JJ115 [1720-1736] [9] Comptes
communaux de Huttendorf 1E3.74-3 [10] “Histoire de
l’Alsace”, Privat p310 [11] « Minversheim
fier de son passé, tourné vers
l'avenir », auteurs divers, Editions
Coprur, 1990. [12] Idem. [13] Marcel
ANTONI et Monique CARLE, Le moulin de Mommenheim
dans la revue Kocherschbari n° 39,
été 1999, pp 30-37 [14] D’après
l’étude de Charles Auguste Hanauer :
« Études économique sur
l'Alsace ancienne et moderne: Denrées et
salaires ». Valeurs exprimées en
monnaie de Strasbourg. La livre de Mulhouse (qui
était celle de Bâle) valait en fait
1/3 de la livre de Strasbourg. Rappelons d’autre
part que 1lb = 2R = 20ß = 240δ [15] ABR
cote 17J54. Il y a aussi un article et une
retranscription du renouvellement de 1745 dans le
livre de Wolfgang Jacobeit
« Schafhaltung und Schäfer in
Zentraleuropa bis zum beginn des 20.
Jahrhunderts » [16] D’après
l’article de Wolfgang Cacobeit qui cite l’article
de Lentz sur les actes de la confrérie de
1763 : Lenz : « Die
Pfaffenhofer Schäferzunft » [17] Jean-Michel
BOEHLER, La paysannerie de la plaine d’Alsace,
1648-1789, Presses universitaires de Strasbourg,
1994, pp. 1839 et suivantes. [18] idem [19] On peut
également interpréter le signe de
Thomas Keller dans l’optique du IHS, parfois
abrégé sous la forme de la lettre H
(la branche de droite se terminant
éventuellement en croix). Ainsi, on retrouve
dans le signe de Thomas la lettre H et la croix. Les
trois barres verticales sous la lettre H peuvent
alors évoquer les trois clous de la
crucifixion. [20] Monogramme
du Christ. A partir du IIIe siècle, le nom
grec du Sauveur est quelquefois
abrégé, surtout dans les inscriptions
chrétiennes. Ainsi Jésus-Christ
devient IH (iota-êta) pour Jesus et XP
(chi-rho) pour Christus. Au siècle suivant,
le sigle grec XP (chi-rho) n’est plus seulement une
abréviation mais devient aussi un symbole.
D’autres abréviations pour Iesous Christos
sont alors utilisées comme IC et XC, ou IHS
et XPS. Ces monogrammes grecs continuent
d’être utilisés en latin au Moyen Age,
bien que leur signification ait été
oubliée. (Ainsi certains ont traduit
incorrectement IHS par la formule Iesus Hominum
Salvator). Vers la fin du Moyen Age, IHS devient le
symbole du Christ. Quelquefois le H est
surmonté d’une croix et en dessous s’inscrit
un cœur avec les trois clous de la crucifixion. Ce
monogramme devint le symbole de St. Vincent Ferrer
(mort en 1419), de St. Bernard de Sienne (mort en
1444) et de la Compagnie de Jésus de St.
Ignace de Loyola (1541). [21] Voir
l’enquête de Roger ENGEL dans Pays d’Alsace,
BSHASE, n° 86-87, 1974. [22] Plus au
nord, à Morschwiller, une seule croix porte
le monogramme ; en revanche on ne peut en recenser
aucune à l’est de cette zone (Hochstett,
Uhlwiller, Dauendorf). La consultation de l’ouvrage
Le Patrimoine des Communes du Bas-Rhin* permet d’en
déceler dans d’autres villages où ce
monogramme est représenté, notamment
à Ettendorf sur une façade de 1730 et
à Lixhausen sur une croix de chemin à
niche de 1732. La notice sur Lixhausen mentionne
deux autres croix à niche. [23] Cette guerre
opposa la France à l’Autriche. Après
la défaite de Dettingen en juin 1743,
l’armée française est sur la
défensive et en 1744, l’ambition du prince
Charles de Lorraine, qui est à la tête
de 70.000 soldats impériaux, le pousse
à envisager une campagne au delà du
Rhin, dans la fertile plaine d’Alsace. Ainsi en
juin, il passe le Rhin à auteur de
Lauterbourg dont il se saisit avant de se diriger
vers le sud. L’armée de Joigny postée
à Wissembourg longe le Rhin et
s’établit à Haguenau. Le prince
Charles contourne alors l’armée
française et se saisit de Saverne, ce qui
force les Français à se replier sur
Strasbourg pour ne pas être coupés du
ravitaillement et du gros de l’armée arrivant
de Lorraine. Les Autrichiens prennent alors
Haguenau. Durant plusieurs semaines l’Alsace du nord
et le Kochersberg en particulier seront soumis au
pillage des mercenaires autrichiens du colonel
Trenck, appelés Pandours à cause de
leur origine balkanique. Lorsque l’armée de
Louis XV entre enfin en Alsace, Charles sonne la
retraite ne laissant comme arrière-garde que
quelques milliers de Pandours qui s’occuperont
principalement à écumer la
région. La région ne sera
définitivement libérée qu’en
septembre. Quelques mois plus tard, Louis XV visite
Strasbourg. Pour fêter sa venue et pour faire
oublier la faiblesse passagère de son
armée, il offre à la population des
festivités somptueuses. Strasbourg sera
pendant quelques jours le centre du royaume de
France. [24] “Histoire de
l’Alsace”, Privat p310-11 |
Albert Jansz. Klomp - Landschaft Mit Hirte Und Weidetieren XVIIe siecle Joseph Roos - Berger avec betail XVIIIe siecle Page du renouvellement des articles de la confrérie des Berger en 1745 copie de 1746 Pendours croates vers 1742 |