Témoignages de vétérans de la
Grande Armée
Pierre Hoenen de Hohatzenheim
Pierre Hoenen est né le 16 avril 1792 dans la ferme s’Valdes, rue du village à Hohatzenheim. Il était le deuxième fils de Nicolas Hoenen « le vieux » (5e génération dans notre chronique sur la ferme s’Valdes). Son frère aîné Nicolas « le jeune » né le 21 février 1790, conscrit de la classe 1810 fut appelé au conseil de révision militaire en 1809. Il demanda à être réformé pour « goitre » mais fut déclaré apte lors de la visite médicale. Heureusement pour lui, lors de l’épreuve du tirage au sort, il tira le numéro 142 sur 148 ; un très bon numéro qui lui évita d’être appelé. L’année suivante, ce fut au tour de Pierre Hoenen d’être appelé. Il n’eut pas la même chance. Il fut déclaré apte et incorporé au 6e bataillon du train en 1811. En 1812, il eut la chance d’éviter la campagne de Russie mais il fut amené à participer à la campagne de Prusse en 1813 à la suite de quoi il fut blessé et rapatrié à l’hôpital militaire de Metz où son frère vint le chercher en 1814 pour le ramener chez lui. Deux ans après son retour, Pierre épousa Anna-Maria Debes le 29 octobre 1816 à Hohatzenheim. Mais celle-ci décéda peu après et Pierre se remaria avec Salomé Runtz le 13 juin 1819 toujours à Hohatzenheim. Comme son frère aîné avait hérité de l’exploitation familiale, Pierre dut exercer un autre métier. Il devint sellier – journalier, c'est-à-dire qu’il vécut le plus souvent de petits travaux payés à la journée. Il s’installa avec sa famille tout en bas de la rue Laugel (s'Ruxers) où habitaient en général les journaliers sur de petites parcelles. C’est là qu’il passa le reste de sa vie. Le recensement de 1836 indique qu’il habite dans la rue Laugel avec sa femme, ses enfants Joseph (10 ans), Marie-Anne (8 ans), Thérèse (3 ans), avec Gertrude Ruxer, fileuse, « une parente de Pierre » et avec Barbe Barthel, fileuse, « une parente de Pierre logeant chez lui par charité. » Son fils ainé Pierre « le jeune » (15 ans) n’habite plus chez lui. Il est employé comme domestique à la ferme des Freund. Le recensement de 1841 indique qu’il habite toujours dans la rue Laugel avec sa femme, ses enfants Joseph, Thérèse, Marie-Anne et Barbe et Barbe Barthel, « une domestique ».
Reconnaissance de la patrie. En 1848, Louis-Napoléon Bonaparte fut élu président de la république. Lors de ses visites en province il fut ému de constater la ferveur toujours vivace des anciens soldats de l’Empire pour le souvenir de son oncle Napoléon. Il avait été touché par la situation misérable dans laquelle se trouvait un grand nombre d’entre eux. Aussi, le 6 décembre 1849, le Ministre de l'Intérieur avait invité les préfets à s’intéresser à la position de ces vieux soldats. Une commission fut constituée le 29 février 1850 avec pour tâche d'examiner les réclamations pour accorder une pension aux plus méritants et plus nécessiteux d’entre eux. C’est dans ce contexte que chaque vétéran de la grande armée encore en vie fut appelé à se manifester en écrivant une lettre à la commission ainsi qu’en remplissant le formulaire joint. Pierre Hoenen avait alors 58 ans en 1850. Comme il n’était pas capable d’écrire la lettre en question, c’est le maire Nicolas Freud qui le fit pour lui : « Département du Bas-rhin, arrondissement de Saverne, commune de Hohatzenheim. Monsieur le
sous-préfet de Saverne, Hönen Pierre âgé de 58 ans journalier né et domicilié à Hohatzenheim à l’honneur de vous exposer très respectueusement qu’il a reçu communication de la circulaire de M. le préfet du Bas-Rhin en date du 14 décembre 1849 relative aux récompenses dues aux anciens militairies; et en outre je vous expose que j’ai été conscrit de la classe de 1811 et affecté au 6e escadron du train déjà en 1811. Les principales batailles que j’ai aidées à livrer sont celles savoir 1) celle de Bautzen le 20 mai 1813 2) 21 août 1813 combat du Bobert 3) 27 août 1813 bataille de Dresde 4) 16 octobre 1813 bataille de Wachau 5) 19 octobre 1813 bataille de Leipzig Et par suite des batailles j’ai reçu une mauvaise rupture; à cause d’elle on m’a transporté à l’hôpital de Metz où mon propre frère m’a conduit à la maison sur une charrette et sur laquelle j’ai perdu tous mes papiers (arrivé à la maison au mois de décembre 1814). Etant aussi un de ces anciens militaires et privé des récompenses dues à mes services et étant en ce moment un très pauvre homme qui ne peut plus gagner son pain et pour sa propre famille par suite de sa rupture, je me crois d’être en droit de vous présenter ma demande. C’est pourquoi je prie incessamment M. le sous-préfet de me faire porter sur l’état avec un avis favorable afin que je reçoive cette récompense laquelle l’autorité supérieure jugera à propos. Agréez monsieur le sous préfet mes sentiments respectueux avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre humble et obéissiant. Peter Hönnen. Hohatzenheim le 24 février 1850
Le maire de la commune de Hohatzenheim après avoir pris connaissance de la demande ci-dessus constate son contenu sincère et véritable. Il estime qu’il y a lieu de lui accorder une récompense à cause de sa pauvreté et de ses infirmités et aussi à cause de sa bonne conduite qu’il montre toujours parmi ses concitoyens. Délivré à Hohatzenheim le 25 février 1850 Le maire N. Freund »
Le formulaire joint, contient les informations suivantes :
« Commission d’examen des reclamations des anciens militaries de la république et de l’empire Pierre Hoenen Âgé de 58 ans natif de Hohatzenheim Domicilié à Hohatzenheim Grade: simple soldat. Conscrit de la classe 1811 et affectation au 6e escadron du train en 1811. Années de Service: pendant 3 ans Campagnes: 1) celle de Bautzen; 2) combat du Babert; 3) bataille de Dresde; bataille de Waschau; 5) bataille de Leipzig Blessure: aucune blessure. Action d’éclat: néant. Cause de sortie de service: par suite de ses batailles il a reçu une mauvaise rupture. C’est pourquoi son frère Nicolas a été oblige de le chercher sur une charrette à l’hôpital de Metz et en chemin il a perdu ses papiers. Profession: journalier Moyens d’existence: rien du tout. Ses pauvres enfants et les gens charitables le nourrissent Charges de famille: 4 enfants. Il loge chez l’aîné et les 3 autres enfants sont en condition. Moralité: il a de la réputation et montre toujours une bonne conduite parmi ses concitoyens. Récompenses ou emplois obtenus: néant Avis du maire: Il prie l’autorité supérieure d’accorder à ce malheureux une récompense ayant un des plus pauvres sur le monde et à cause de sa rupture il ne peut plus gagner son pain. N. Freund. Avis du sous-préfet: N’a pas les conditions voulues. Le sous-préfet. Avis du rapporteur: A Eliminer. »
Pierre Hoenen ne remplissait pas les conditions requises car devant le nombre de postulants, la commission fut instruite de ne récompenser que ceux qui avaient au mois huit ans de service sans blessure.
Fin de vie Le recensement de 1851 indique que
Pierre habite alors toujours rue Laugel avec sa femme,
son fils Pierre « le jeune » (30
ans), sa femme Barbara, leur fille Salomé, et
l’autre fils de Pierre « le
vieux » Joseph (25 ans). Pierre Hoenen décède à Hohatzenheim le 13 janvier 1852. Son décès est déclaré à la mairie par son fils Pierre le jeune et son frère Nicolas le jeune. En 1857, Napoléon III décide de délivrer une médaille à tous les vétérans de la grande armée encore en vie mais pour Pierre Hoenen c’est déjà trop tard.
Le train d’artillerie dans la Grande Armée Du temps de l’empire il n’y avait pas d’escadron du train. Pierre dut donc faire partie du « 6e bataillon principal du train d’artillerie » qui exista jusqu’en 1814. A la restauration, il devint le « 6e escadron du train d’artillerie. » Ce qui suit est tiré de l’article de Jacques Declercq « LE 11ÈME BATAILLON PRINCIPAL DU TRAIN D'ARTILLERIE EN 1813 – 1814 » publié dans "Carnet de la Sabretache" Nouvelle série, n° 66, 1er trimestre 1983.
« Pendant la période révolutionnaire, l'acheminement des convois d'artillerie jusqu'aux lieux des combats était laissé aux soins d'entreprises privées civiles dont le personnel, peu concerné par la gloire militaire, n'hésitait pas à abandonner les pièces aux artilleurs dès les premiers coups de feu. C'est pour remédier à
cet état de fait que le 3 janvier 1800, le
Premier Consul organise militairement les conducteurs de
l'artillerie en huit bataillons. Cette organisation sera
renforcée à plusieurs reprises au cours du
règne de Napoléon Ier. Ainsi, le nombre de compagnies par bataillon passe de cinq à six le 4 août 1801. Le 20 septembre 1804, l'effectif passe à dix bataillons dédoublables en temps de guerre. Un onzième bataillon est créé le 3 octobre 1805 et deux autres le 28 août 1806. Ces treize bataillons seront dédoublés le 18 avril 1810 et un quatorzième bataillon, formé de Hollandais, sera créé à cette même date. Les troupes formant ces divers
bataillons seront, comme pour le reste de l'armée
impériale, issues du volontariat et de la
conscription. Compte tenu de leur mission, "les
conscrits sachant soigner les chevaux et conduire les
voitures seront, de préférence,
affectés aux bataillons du train et des
équipages."
Situation du 11e bataillon du train d’artillerie en 1812. En 1812, le 11ème bataillon principal du train d'artillerie, dont le dépôt est à Metz, a ses compagnies réparties comme suit: les 1ère, 3ème, 4ème, 5ème et 6ème compagnies sont en Espagne, la 2ème étant en Russie avec des détachements des 4ème et 6ème. Le 1 mai 1812, septante et un soldats et nonante et un chevaux de trait de la 1ère compagnie sont versés dans la 1ère compagnie du 5ème bataillon principal de même arme à Salamanque ainsi que le constate le procès-verbal dressé par le sous-inspecteur aux revues de la 6ème division de l'armée du Portugal. Le cadre de la compagnie, composé du sous-lieutenant Quentin, d'un chirurgien aide-major, d'un maréchal des logis chef, de deux maréchaux des logis, d'un fourrier, de deux brigadiers, de deux trompettes et de quatre ouvriers, devra rentrer au dépôt du bataillon avec quatre chevaux d'officiers. Ce document nous fait
également connaître l'équipement,
l'habillement et le harnachement dont dispose la
compagnie : 69 habits-vestes, 59 gilets de dragon, 62
gilets d'écurie, 64 culottes de peau, 70 shakos
et cordons, 59 bonnets de police, 70 capotes, 69
gibernes et autant de porte-gibernes, 69 ceinturons de
sabre, 70 paires de bottes, autant de paires
d'éperons et de porte-manteaux, 10 selles, 19
licols d'écurie, 10 brides montées, 19
longes, 9 harnais de devant et 10 de derrière, 70
sabres et 70 fusils dont 20 ont été
ramassés sur les routes par un pareil nombre de
soldats "qui n'en avaient pas reçu du
gouvernement". D'autre part, la solde reste due du 1 juin 1811 au 31 décembre 1811 et du 1 janvier 1812 au 30 avril 1812, ainsi que pour les mois de septembre, octobre, novembre et décembre 1809, janvier, février, mars, avril, novembre et décembre 1810. La fin de 1812 et le début de 1813 connaissent la réorganisation des divers corps à la suite du désastre de Russie où ont été pratiquement détruits les détachements des 4ème et 6ème compagnies; la trentaine de survivants de la 2ème compagnie (sur 160 hommes) est destinée à être versée au 1er bataillon bis. Le sous-lieutenant Brasseur, qui la
commandait, rentre à Metz très
éprouvé par cette campagne puisqu'il ne
pourra servir avant un certain temps, n'étant pas
en état de marcher. Le 6 mai 1813, il sera
nommé lieutenant à la 3ème
compagnie. »
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Le train d'artillerie durant l'Empire Première page de la lettre de Pierre Hoenen Formulaire rempli pour Pierre Hoenen |